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une singularité, un art, souirisme pur!!
Baki est bon ; sa prodigieuse humanité transpire dans tous ses mots, comme dans son art intemporel surgi des profondeurs du cœur. « L’homme a été un jeune de bien » dit-il, qui croit en l’amour des individus, des animaux, des êtres vivants, quels qu’ils soient.
Un art modeste, singulier, insolite, hors norme, empreint de motifs tribaux ou africains et colorés. Un monde de magie dans lequel s’enchevêtrent formes, teintes, personnages, animaux extravagants, doubles ou multiples poissons, oiseaux, serpents… Un univers d’équilibre fantasmagorique, où l’amour régit la vie.
Ce peintre et sculpteur autodidacte travaille de façon ininterrompue depuis plus de vingt ans. A 28 ans, le service militaire obligatoire lui fait perdre son emploi d’électricien en entreprise. Comment faire vivre sa famille ? Son frère fabrique des étagères, il décide de les peindre. Être artiste, quoi de plus naturel ?
La créativité galope : motifs aux couleurs vives, animaux insolites et invraisemblables, un imaginaire en perpétuel mouvement, à l’image des lieux dans lesquels il évolue, véritable fatras d’objets et de déchets, univers de bric et de broc. A peine à l’abri de la pluie, il œuvre ici dans une petite bicoque, mosaïque de bois, à l’incroyable toit, assemblage de planches recouvertes d’une bâche de plastique. Un atelier coincé entre la poussière et les violentes attaques du vent, sur fond du bruit de la vie, des radios, des échanges ou des goélands.
A l’entrée de son antre : des portes de récupération sur lesquelles sont peintes des lettres qui disent : « atelier de Baki ». Ses voisins affichent un « art primitif moderne ». Baki, lui, ne se classe pas.
Dans l’atelier, des nattes, une étagère présentant quelques œuvres, une moto à trois roues sous une bâche, quelques pots de peinture et des verres à thé se partagent une table bancale, près d’un sac plastique et ses documents précieux : articles, photos, livres ou catalogues.
Parfois, la lumière du soleil filtre à peine. En semaine, Baki travaille dans un second atelier, sur la route de Marrakech, à la sortie d’Essaouira. Encore moins de passage ici, l’esprit et la main sont libres de vagabonder. Peu de pièces sur place, mais toujours une œuvre en cours de finition, des commandes. Chez Baki, il s’agit à peine de savoir si ce qui est élaboré « tient », au plan esthétique. L’artiste est dans une production permanente et c’est là l’essentiel. Pour lui et pour celui qui vient et regarde. Osciller entre deux ateliers, être présent et produire, et toujours avoir le désir et le courage de continuer, l’art comme « consolation naturelle du travail des hommes » . Voilà.
Baki observe et reproduit des motifs anciens dont il va s’inspirer, puis les adapte jusqu’à développer sa propre manière. Commence ainsi une vie d’artiste et de création. A l’origine de son art, il y a des meubles recyclés, des outils détournés de leur fonction mais toujours utilitaires.
A ses débuts, donc, l’artiste redonne vie aux objets du quotidien. Des œuvres éclectiques sont refaites avec soin, puis peintes. Leur succèdent bientôt des tableaux et des sculptures. Au fil des années, le trait s’affine et se libère, la palette se colore, vive et joyeuse, les personnages se détourent d’un trait noir. Baki dit chercher sans fin du nouveau dans les formes. Il avance, recouvrant le bois de peau pour le solidifier, puis il peint, utilise les mouvements du bois, ses aspérités pour en faire un œil, une bouche, un animal, un univers peuplé de monstres marins souvent, mais surtout de serpents.
Les sculptures présentent généralement une figure ou un motif central, autour duquel s’articule un bestiaire : les corps se dédoublent, les membres s’entrelacent. L’inspiration provient de la campagne avoisinante et de sa faune. De l’effroi que celle-ci peut inspirer. Baki exorcise ses peurs en couleurs et les transcende en créatures zoomorphes dans une figuration imaginaire ; il surcharge ce bestiaire grouillant. Il joue de couleurs qui « réveillent » les choses et illuminent les pièces. Totems de plus en plus grands, géants, presque, et moins aisés à vendre bien sûr, quand ses pièces sont généralement de petit format et peu encombrantes, et « partent » vite.
Dans des cabanes au fond d’une cour, le peintre-sculpteur collectionne des branches, des troncs tortueux, y voit déjà les formes d’animaux et de personnages fabuleux. Bientôt, sur ses troncs-totems, creux et bosses cacheront ou révéleront mille êtres étranges, un monde fantasmé.
L’artiste intègre ces formes dans des combinaisons singulières et inattendues, il imagine des procédures figuratives déconcertantes. L’esprit de l’enfance se prolonge dans la naïveté du trait, avec maîtrise. Près du port de Mogador, ville carrefour, l’héritage collectif de l’imaginaire produit cet art singulier, des vestiges culturels déviés et sans cesse ré-imaginés. Entre forces surnaturelles et rites religieux, transe et magie venues d’Afrique noire. De l’apprentissage des siècles, l’artiste naît dans l’atelier du monde. Entre ses mains naissent des associations poétiques, métaphores oniriques et métamorphoses des êtres.
Baki mêle les figures ; chacune occupe sa place, loin du hasard. Bois aux formes complexes, qui rappellent les mouvements et les sinuosités des reptiles, serpents, lézards, scorpions ou caméléons, des poissons aussi, créatures bizarres, tel le serpaon, association improbable où le paon chasse et tue le serpent. L’artiste a une peur profonde à exorciser : son père est mort tué par un serpent. « Quand tu vois un serpent, tu t’arrêtes de prier » dit-il, en citant le Coran. Alors les serpents se glissent partout dans son œuvre. L’œil s’attarde sur les regards, les bouches à grandes dents mais rarement menaçantes, sourire à la vie plutôt. Les yeux vides détiennent un pouvoir magique, hypnotisent le spectateur, à l’instar du serpent.
Faire de la vie un monde enchanté et ensorceleur ! Conter des scènes où l’amour, la fraternité, la famille et la nature cohabitent, des peintures et des sculptures aux couleurs et aux créatures chimériques. Un art sans étiquette, totalement libre. Ici, le vent « chasse les mauvais esprits », dit-on. Mais un vent de génie souffle sur les œuvres de Baki, un art anticonformiste et affranchi.