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L’émission phare de France-Culture, « Ville-Monde », a consacré deux éditions à Essaouira, les 16 et 23 juin derniers. Ce choix intervient après que la chaîne culturelle radiophonique française de référence ait à trois reprises invité Essaouira et des Souiris à son émission hebdomadaire « Cultures d’Islam ». Se sont succéder à l’antenne de France-Culture et pendant plus d’une heure chacun, la chanteuse Françoise Atlan, Directrice du Festival des Andalousies d’Essaouira (3 mai), Houssein Miloudi (10 mai), le grand peintre souiri et André Azoulay, Conseiller de S.M. le Roi Mohammed VI (17 mai).
Cap sur le Maroc et sa côte atlantique, Essaouira… Le voyage commence sur l’île de Mogador qui fait face à la ville, du haut du minaret de la mosquée construite au début du XIXe siècle. De cette hauteur et de cette distance, la cité est cernée par les remparts couleur terre que surmontent les profils de ses maisons blanches, et le port : à gauche, c’est l’océan qui bat les rochers où s’enracinent les remparts ; à droite s’étend la large anse en laquelle les flots marins sont apprivoisés, anse prolongée par les dunes de sable, qui finissent par rencontrer le vert de la forêt de thuya, puis la forêt d’arganiers, parfois des oliviers… Ville ouverte sur la mer, née comme ville nouvelle au milieu du XVIIIe siècle, « au milieu du sable et du vent, là où il n’y avait rien », elle était destinée à drainer le flux du négoce continental vers les destinations outre-mer. Une ouverture vers l’extérieur renforcée par l’accueil des légations étrangères qui représentaient les puissances occidentales européennes mais aussi américaines, le Maroc étant le premier pays à avoir reconnu les Etats Unis d’Amérique dès la proclamation d’indépendance. Une vocation qui a donné à la ville le privilège d’accueillir la diversité humaine qui réside dans l’arrière-pays, et au dehors : Essaouira ville ouverte, et ville plurielle. Du quartier du Meshouar au quartier juif, le mellah, jusqu’aux portes du port, les créateurs rencontrés, originaires d’Essaouira, inspirés par elle ou vivant dans son enceinte, nous parlent de cette diversité, de cette ville entre Orient et Occident et « dédiée au divers ».
Les séquences labyrinthiques alternent avec l’urbanisme régulier, orthogonal, et cette dualité suscite la marche poétique entamée avec l’écrivain mexicain Alberto Ruy Sanchez, dont l’œuvre romanesque se nourrit du mythe même de Mogador. Avec lui et les artistes de la ville, nous « médinons » à travers le dédale que ponctue la scansion de l’ombre et la lumière, avec cette dense matière sonore qui émanent des échoppes et de ce qui échappe des patios. Une diversité qui s’exprime aussi par la musique, celle des Gnawas qui illustrent par la performance vocale et en langue arabe, tout ce « divers » qui loge dans la ville et continue de la faire vivre…
« Le monde » est à Essaouira, « ville-mondes » dont les créateurs, comme les étrangers, issus de différents horizons, sont amoureux, inspirés par elle… Une ville vécue comme « une passion partagée », vers laquelle reviennent ceux des siens qui ont été amenés à la quitter. Une ville qui renaît et revit, après avoir connu un moment de désolation qui, au reste, ne lui enlevait rien de son charme. Charme auquel a succombé toute la beat generation, vers elle aussi a migré l’esprit de bohème qui a marqué la génération de mai 68. Au début des années 1970 quand Georges Lapassade avait découvert la ville, l’avait aimée et avait été éprouvé par l’état de décrépitude qui la corrodait, il avait apposé à l’entrée de la cité une pancarte où il avait écrit : « Essaouira, ville à vendre »… C’est ce décor qui a servi à Orson Welles pour situer Chypre dans Othello. Ce « Mogador d’Afrique » qui a inspiré Paul Claudel, dans Le soulier de satin…
Il y a aussi les visiteurs réguliers, constants, cherchant à maintenir vif en eux le mythe créateur de la ville. Comme l’écrivain mexicain Alberto Ruy Sanchez qui fait de Mogador une quête, comme les créateurs rencontrés qui nous parlent de cette « passion partagée ». Cet amour de la ville qui animait l’œuvre littéraire d’Edmond Amran El-Maleh, dont la tombe se dresse dans la cimetière marin juif d’Essaouira : « Où soufflent les Alizés/ inlassables balayeurs du ciel/ transparence qui décante l’azur/ la mouette accompagne le gnawi/ supplique d’Afrique sur la tombe juive/ esquisse du corps qu’éclaire l’auréole/ aussi bien gravée que le caractère arabe/ le signe berbère la lettre latine/ tous veillent sur leurs sœurs hébraïques/ froissement d’ailes qu’humecte l’écume/ gerbes qui retombent sur la roche ductile »…