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dans les rues d’Essaouira - C215
« C’était comme un nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fourmillant, fantastique. »
Victor Hugo,
Notre-Dame de Paris, 1831.
L’été de cette année 2009, à la faveur de déambulations dans les rues d’Essaouira, je découvre des graffitis nichés dans les recoins les plus surprenants de la ville. Difficiles à dénicher, certains de taille très réduite, le jeu commence : chercher, pister et traquer les dessins, les saisir sur appareil photographique, se passer les informations entre amis afin d’en trouver encore plus. Certains disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus, recouverts de chaux par le voisinage.
Du « Street art » à l’état pur, art éphémère dont la force émerge de cette fugacité. (Le « graff », art illégal et anonyme à l’ origine, prend maintenant des lettres de noblesse et s’expose dans les musées du monde.)
L’auteur de ces œuvres ? C215, étrange signature sortie d’un récit de science fiction, ou nom d’un robot malin ?
Et voilà que C215, l’artiste pochoiriste, prend un nom, au détour d’une ruelle, la rue Abdesmih (qui traverse de l’avenue principale de la médina, l’Istiqlal, à la rue commerçante Mohamed ben Abdallâh. Sur votre droite en remontant de Bab Moulay Youssef à Bab Doukkala). Sur un panneau de bois s’inscrit l’origine et l’auteur de ces dessins. Sur l’affiche reproduite en peinture du dernier festival Gnawa et musiques du monde, le douzième, est apposée une signature, Christian Guèmy, peintre-poète, alias C215, et une date : 30 juin 2009. Peut être a-t-il logé dans cette ruelle dans laquelle de nombreuses œuvres se cachent, ou s’exposent discrètement.
L’œil et la curiosité s’aiguisent, le regard accroche le moindre recoin. La ruelle est sombre et voûtée, au ras du sol sur une plaque métallique, un cireur de chaussures, plus haut encore, sur une autre plaque, l’œil noir d’une femme semi voilée parfois accompagnée par une roue de bicyclette déposée contre le mur ; une autre encore, si petite qu’il est possible de passer devant dix fois sans y faire attention, si discrète que ses coloris se confondent avec l’environnement.
C215 voyage dans la ville et lègue sur son passage des pochoirs contextuels dans les rues. Véritable poète urbain, espiègle ou facétieux, aux clins d’œil critiques ou noirs, à la vision impitoyable de la société, il peint, poche ou « graff » plus précisément, des animaux, des scènes de rue. Il dépose tendrement ses personnages jaillis d’une cour des miracles, des portraits de sans abris, mendiants, réfugiés, d’orphelins, de pirate ou de sorcière. Tous sont expressifs, inquiétants, souvent enfermés dans leurs espaces. Un cadenas n’est jamais loin. C215 leur dessine une place dans la société, dans la ville ou ses faubourgs, leur trouve l’endroit qui les abritera et les fera survivre. Une grosse tête de chat orne une poubelle verte de la ville, plus loin, un visage africain recouvre la porte de l’ancien consulat danois, abandonné et muré. Ici, cynique, dans une maison laissée ouverte à tout vent, un pendu sur un mur. Ailleurs encore, une vue nocturne de ville sur une terrasse. Un pirate aux dents longues règne sur la place Moulay el Hassan et scrute la mer.
Dessins pochés, situés sur des non lieux, des supports dévalués: portes rouillées ou de bois de chantier, murs cassés ou brûlés, panneaux de stop et panneaux sans âge aux indications horaires de bus, poubelles ou murs, petites portes-trappes rouillées de l’O.N.E usées par le temps …Ici le cadenas sur la porte retient le bras d’une sorte de derviche gnawa. Chaque pochoir se pense et se crée en fonction du lieu, découpé sur place et se fond dans son environnement pour une interaction avec ses habitants.
Un itinéraire artistique beau et émouvant, à découvrir les yeux dans les coins, en l’air ou par terre, une autre bonne occasion d’appréhender autrement la ville. Tous n’auront pas disparu, il est encore temps de parcourir les rues et les places de la ville pour rechercher ces derniers survivants d’un autre monde.
Voilà peut être l’opportunité de combiner Art du graff et Histoire, pour les habitants comme pour les voyageurs de passage dans la ville, et de découvrir ou de redécouvrir l’histoire souirie à travers l’architecture.
Histoire, itinéraires et graffitis pochoirs
Partir de la place Moulay El Hassan, toujours belle face à l’océan, un monument à elle seule. Derrière vous la Porte de la marine et sur votre droite, Bab El Menzeh. Le premier dessin sera celui du pirate sur la maison carrée abandonnée aux couleurs ocre, la première sur votre gauche en faisant face aux cafés. Après l’avoir remontée vers la ville, se faufiler dans la rue Mohamed ben Abdallâh ou passer par la petite place Chefchaouen derrière l’horloge et remonter l’avenue qui traverse la médina, vers Bab Doukkala. Sur votre gauche, sur une porte de chantier toute rafistolée, une autre œuvre, occupant tout l’espace de bois.
Par l’une comme par l’autre vous pourrez rejoindre la ruelle voûtée transversale, celle dont il est question (rue Abdesmih) plus haut au sujet des pochoirs de C215.
Le mieux ensuite serait de se laisser perdre dans les rues. Dans le Mellah vous en découvrirez dans les recoins les plus inattendus. Une manière de poser son regard sur ces vieilles maisons traditionnelles, leurs murs usés par l’érosion, les embruns et le temps, dans ce quartier en dehors des visites touristiques. Pour ceux qui préfèreraient rester sur les sentiers battus, voilà l’occasion d’observer les maisons imposantes de l’époque coloniale dans l’avenue de l’Istiqlal et les rues adjacentes. Elles sont peu nombreuses mais reconnaissables, les deux plus remarquables étant celles qui se font face, l’une étant occupée par la Wafa bank. A chacun de lever le nez et de faire ses propres trouvailles.
Dans la ville, les mosquées ne manquent pas, les monuments avec entre autre tous les anciens consulats concentrés au Sud de la médina. Des synagogues non indiquées ou des zaouïas aux couleurs chatoyantes vert, rouge et jaune. Elles se nichent dans de petites impasses ou ruelles peu passantes. La médina en compte à elle seule une douzaine.
L’idée pourrait aussi être de rejoindre les différentes anciennes portes de la cité. Quatre principales, Bab Doukkala au Nord, Bab Marrakech à l’Est, Bab Sebaa au Sud-est, Bab El Menzeh au Sud, mais également celle de la Marine ouverte sur le port ou encore les quelques autres qui ponctue l’avenue qui relie par les souks le Sud de la médina au Nord.
Vous pourriez passer Bab Doukkala et sortir au Nord de la ville. Les anciens cimetières chrétiens ou juifs bordent la mer et se visitent. Sur votre droite en sortant par la porte, et avant de tourner dans rue Massira, commerçante et très animée, une femme peinte en bleue vous attend sur un mur blanc. De même en longeant le rempart extérieur à droite, sur l’arrière du panneau d’arrêt de bus, vous trouverez deux personnages étranges et gais.
En étant attentifs vous ne pourrez manquer ces créations originales de C215 disséminés dans la ville et hors la ville, mais aux abords immédiats. L’histoire de la ville est partout à qui sait observer.